09 déc 2020 - 09:50
Par Daniel Coulibaly
" Yopougon, Yopougon, Yopougon...", crie un apprenti gbaka aussi appelé "balanceur", accroché à la portière d'un mini car communément appelé gbaka. Nous sommes à Adjamé liberté, où il est difficile de se frayer un chemin, ce samedi 5 décembre 2020. Il est 16 heures. Et le soleil brille. C'est le ballet des gbaka au son du refrain des balanceurs.
Les apprentis ont les mêmes mots à la bouche pour Abobo ou Yopougon. Le tout dans un désordre sonore. Le jeune apprenti nous aide à monter dans son véhicule. Assis à la fenêtre, le voyage peut commencer tranquillement pour nous. Yopougon, on peut y arriver en une heure, si les embouteillages ne se mêlent pas au trafic et que le gbaka arrive à faire le plein rapidement. Mais le chauffeur et son balanceur ont décidé de faire ce qu’ils appellent un « ramassage » au lieu de s'arrêter pour charger et payer la taxe de chargement aux syndicalistes.
Tout se passe relativement bien. Lorsqu'à son retour de recherche de clients l'apprenti arrive cigarette en main. La fumée embaume immédiatement le véhicule où les passagers sont quasiment les uns sur les autres. Ceux qui ne supportent pas l'odeur de la cigarette réagissent. Un passager assis sur un siège proche de la porte lui intime l'ordre de descendre ou jeter sa cigarette. Le jeune apprenti ne s'exécute pas. Il reste accroché. Cigarette à la bouche. Cela agace un autre passager. " He petit, on te parle non! On ne t'a pas dit qu'on ne fume plus en public ! ". L'apprenti rétorque: " Orrrr, vieux père, laisse ça !" Un autre interpelle le chauffeur afin qu’il ramène son collaborateur à la raison. Peine perdue car, le chauffeur lui-même avait une cigarette qu'il s'apprêtait à allumer.
Le jeune balanceur d'une vingtaine d'années était toujours accroché à la portière, rejetant la fumée de la cigarette de ses "narines volcaniques" aux yeux à la couleur chéchia. La fumée de la cigarette a commencé à gêner tout le monde dans le véhicule. C’est en ce moment qu’un passager choisit de descendre.
Une loi qui peine à être respectée
Cette scène est commune dans les transports à Abidjan. Pour rappel, le DECRET N° 2012-980 du 10 octobre 2012 pourtant interdiction de fumer dans les lieux publics et transports en commun a été publié par le gouvernement ivoirien à l'attention des populations. Mais le constat est que 8 ans après l’annonce de cette décision, la fumée de la cigarette occupe toujours presque tous les lieux publics: maquis, bars, restaurants, cafés... et "parfume" de nombreux véhicules de transport en commun. La mesure d'interdiction de fumer en lieu public est foulée au pied et surtout dans les véhicules de transport en commun par les chauffeurs et apprentis. Les fumeurs ne sont guère inquiétés.
Si quelques semaines après la publication du décret, les forces de l’ordre semblaient veiller à son application, ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’article 9 du décret qui stipule que l’amende dans ces cas se situe entre quinze mille et cent mille francs CFA n’effraie guère.
« Beaucoup de policiers préfèrent poursuivre ceux qui utilisent le téléphone au volant parce qu’ils savent que c’est un bon moyen de racket. Pour la cigarette dans les lieux publics, ils s’en foutent. Je pense même qu’ils ont oublié que c’est puni par la loi », regrette un passager de notre gbaka.
Au même moment, l’apprenti qui était allé à la pêche aux clients revient avec une nouvelle cigarette au bec. La seconde alors que nous ne sommes qu’à la gare nord d’Adjamé et que Yopougon est encore bien loin.
En Côte d'Ivoire, la consommation de tabac a connu une hausse ces dernières années. A titre d'exemple, la Société ivoirienne de Tabacs (SITAB), seul fabricant local a réalisé un résultat positif entre 2018 et 2019 passant d'une perte de 2,3 milliards en 2018 à un bénéfice de 5,3 milliards en 2019. Cette performance n'est pas sans conséquences sur la santé des fumeurs. Ainsi, l'Organisation mondiale de la santé affirme que plus de 5000 décès annuels sont liés au tabagisme en Côte d'Ivoire.
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